2003

Hiver-Printemps.

Les contes. Benoît, avec sa souplesse et sa légendaire amabilité, fait une belle place à Sophie Vajda. Elle remplace Linda qui joue, joue, joue, joue mur à mur à Québec et ailleurs dans le monde, qui enseigne mur à mur à Québec et ailleurs dans le monde.

Contes d’enfants réels en France. Sophie s’impose, drôle, vive, formidablement rapide dans les transitions du rire aux larmes que les contes exigent. Les contes sont présentés à Vitry… au Théâtre Jean-Vilar, presque tout de suite après Petit Pierre. D’un spectacle à l’autre, Vitry devient un complice étonnant. La relation est beaucoup plus que celle de la simple diffusion pourtant déjà bien chargée d’émotivité, de connivence, de liens souterrains et puissants.

Contes d'enfants réels, mise en scène Gervais Gaudreault, Le Carrousel, 2003. Benoît Vermeulen, Sophie Vajda. Phoito: F-X Gaudreault

Contes d’enfants réels, mise en scène Gervais Gaudreault, Le Carrousel, 2003.
Benoît Vermeulen, Sophie Vajda.
Photo: F-X Gaudreault

À Vitry, en 2003, on sent poindre les pistes de la relation qui va se développer avec le Carrousel, et éventuellement avec mon écriture. Cette proche banlieue parisienne de gauche a une pensée bétonnée sur l’animation culturelle, une connaissance peu ordinaire de son milieu, une ligne de travail d’une rigueur admirable. Il faudra attendre 2007 pour que je sois artiste associée officiellement au Théâtre Jean-Vilar de Vitry pendant trois ans, et quand ce sera officiel, nous aurons déjà un long passé commun.

Cuentos de ninos reales est présentés au festival Teatralia à Madrid, à Alcala de Henares et dans quelques villes de la Communauté urbaine de Madrid, comme c’est le cas pour chaque édition de Teatralia, devenu un rendez-vous incontournable du théâtre jeune public. La pratique s’est tellement enrichie depuis la première édition où j’étais la seule invitée internationale, et elle s’est doublée d’un volet de réflexion/discussion impressionnant. Le comité d’organisation du festival est composé d’intellectuels de haut niveau qui, non seulement amènent une programmation de haut niveau, mais multiplient les lieux de réflexion et des moyens qui permettent à la pratique de théâtre pour les jeunes publics d’avancer sur tous les fronts: constitution d’un répertoire (classes de maître, publication de pièces, etc.) analyse des pratiques (publication d’essais). Le milieu avance avec une vitesse qui m’impressionne. Oui, l’Espagne aura vécu une grandiose explosion de sa pratique en seulement quelques années. Nous sommes admiratifs.

Du même côté de l’Atlantique, Petit Pierre tourne et tourne beaucoup. Narbonne, Auxerre, Sens, Arles, Tarbes et je passe sous silence tant de villes, tant de lieux pour retenir Mulhouse et les Tréteaux-de Haute-Alsace. Il y a aussi beaucoup plus que de la diffusion entre les Tréteaux de Haute Alsace et le Carrousel. Il y a une amitié naissante, une fidélité qui grandissent avec les projets, les rencontres. Toutes les passions (enfance, théâtre, réflexion), notre équipe les partage avec Cathie Aulard et André  Leroy. D’année en année, nous aurons joué tant de fois à Mulhouse que nous nous y sentons chez nous. Nous avons présenté presque toutes nos créations depuis 1995 et Les contes d’enfants réels pour de vraies séries de représentations. Nous avons développé une profonde amitié qui se nourrit de nos passages là-bas, de nos rencontres à Montréal et ailleurs dans les colloques, réunions, congrès partout où il est question de théâtre et d’enfance. Oh! Le beau souvenir de Cathie (Française), Berta (Mexicaine) et moi (officiellement Canadienne) à Copenhague (le Congrès d’ASSITEJ de 2011), quand nous avons fui la dernière cérémonie officielle pour aller visiter le château de Kronborg à Elseneur (lieu mythique d’Hamlet) sous la pluie battante… les photos en témoignent. Le souvenir de trois petites filles en fuite ou en faute qui en profitent pour s’amuser comme des folles. Quelle langue avons-nous bien parlée ensemble? Mon souvenir ne va pas jusque-là. Le plaisir seulement à gorge déployée et le petit resto d’une petite ville perdue sous la pluie.

Petit Pierre, mise en scène Gervais Gaudreault, Le Carrousel, 2002. Ludger Côté, Emilie Dionne, Maude Desrosiers. Photo: François-Xavier Gaudreault

Petit Pierre, mise en scène Gervais Gaudreault,
Le Carrousel, 2002. Ludger Côté, Emilie Dionne, Maude Desrosiers.
Photo: François-Xavier Gaudreault

La Pologne en mai dernier nous réunissait à nouveau, Cathie, Berta et moi, grâce au spectacle sur les enfants polonais déportés au Mexique après la deuxième Guerre Mondiale, et à Nuit d’orage que le Carrousel y présentait… Nous n’avons pas eu le temps cette fois-ci d’une jolie escapade, mais les liens survivent au quotidien qui ronge ou éloigne, aux courants et aux modes qui sévissent dans tant de milieux. Cette complicité à l’épreuve de la rouille est peut-être une des plus belles choses que le théâtre jeune public offre à ses artisans. Même le temps n’a pas de prise sur les complicités qui naissent et grandissent malgré l’absence, les silences et les retrouvailles épisodiques…

L’automne 2003 nous ramène enfin au Québec… Montréal.

Je reviens de temps à autre aux statistiques qui permettent de « mettre de l’ordre dans ma tête folle », dirait la mère de l’Ogrelet, et un lapsus de taille m’oblige à revenir dans le temps.  Je cherche 2003 dans les statistiques et je choisis… l’inconscient parfois parle plus fort que le conscient… Je choisis l’année 1993 sans me rendre compte que je suis retournée une décennie trop tôt en arrière. Je regarde l’hiver, constate la longue, l’incroyable tournée d’Une lune entre deux maisons dans les Maisons de la culture de Montréal en janvier, février, mars de 1993 et remontent à ma mémoire l’histoire de ces Maisons de la culture que nous aimons tant fréquenter comme artistes et comme public.

J’ai honte. Dans mon effort pour embrasser les pays si nombreux, les cultures autres et si nombreuses, j’en serais venue à oublier ce que nous avons toujours à côté de la maison,  si près et si précieux : les Maisons de la culture! Rêvées par Jean Drapeau, la première, la Maison de la culture Maisonneuve, ouvre  en 1981. Toujours vivante, toujours active, c’est elle qui a donné le coup d’envoi et abrite encore le festival Petits bonheurs, festival destiné aux plus petits de tous les spectateurs. Oui, on y a joué plusieurs fois… Puis, il y en eu un réseau officiel de 12 de ces Maisons de la culture enracinées dans leur quartier: Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal (1984), Notre-Dame-de-Grâce, Pointe-aux-Trembles, Frontenac (1989), Ahuntsic-Cartierville, Marie-Uguay, Rosemont-Petite-Patrie, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Côte-des-Neiges…

Une culture accessible à tous, financièrement et géographiquement. De proximité. Des lieux familiers, des bibliothèques, des spectacles de qualité gratuits, des activités pour les petits, les grands, les vieux (je fais partie des vieux… et me permets d’éviter  euphémismes et périphrases) des initiatives culturelles qui permettent les rencontres, toutes les rencontres. Entre publics. Entre voisins. Entre artistes et publics. Entre les artistes… Pat et Miki… Où mettre Pat et Miki dans notre histoire? Comme si on pouvait écrire l’histoire du Carrousel sans parler de Pat et Miki! Un peu partout sans doute,  mais à la Maison de la culture Frontenac sûrement! Où parler de Paul Langlois, Louise Matte, Pierre Larivière, Luce Botella, Francine Major, Francine Lachance, Liette Gauthier, Monique Garneau, Sylvain Galarneau et bien d’autres… tous ces gens rattachés à l’une ou l’autre de ces Maisons de la culture qui nous ont soutenus si généreusement? Montréal compte désormais 24 Maisons de la culture… qui ont enrichi notre patrimoine et donné aux créateurs des lieux de rencontre avec des publics dans leur milieu de vie, aux publics des lieux ouverts sur les chemins quotidiens.

En 2003, ce n’est pas Une lune qu’on retrouve dans les Maisons de la culture. C’est Conte du jour et de la nuit qui poursuit sa route jusqu’à Rivière-du-Loup, en passant par Rimouski, Trois-Rivières pour revenir à Montréal après un petit détour de rien du tout à Gatineau. Le Québec développe parallèlement un réseau de tournée de plus en plus conséquent.