L’hiver déjà… Il a été court et terriblement plein. Des entrevues pour remplacer Odette. Le vide encore. Heureusement André est là, présent encore. Et l’équipe encore plus soudée. Le quotidien du bureau à faire rouler, moi qui avais presque oublié. Gervais… entre administration, gestion, création. Réunions dans le milieu. Poursuivre le projet de relocalisation. Ne pas laisser échapper de dossiers. Le printemps arrive précocement. Il est rouge et érable dans tout le Québec. Moi qui suis retournée à l’université, je réalise à quel point j’aime étudier, même si ces mois d’études se partagent entre la rue et les lectures solitaires.
La mort d’Odette n’était pas prévue et je nourrissais depuis longtemps le projet de doctorat : avant de pouvoir transmettre des savoirs, des questionnements, il faut que je mette de l’ordre dans ces 40 ans de recherche. Le doctorat était donc et est toujours un projet parallèle au Cube et nécessaire pour en nourrir les réflexions et les recherches qui y seront menées… La transmission, pour nous, se fait à tous les niveaux : lieu, structure de travail, moyens, savoirs, savoir-faire et la pensée qui donne un sens aux actions, aux activités.
C’est avec la volonté d’intégrer plus intimement Marie-Eve dans la compagnie que Gervais et moi on a l’idée en 2010 de lui confier la mise en scène de la reprise d’Une lune entre deux maisons dont on rêve depuis longtemps. On sait que le texte ne vieillit pas… qu’il se renouvelle sans cesse… De jeunes parents pourraient revoir le spectacle avec une autre génération de petits, leurs propres enfants. On connait le besoin toujours criant de spectacles vraiment adaptés aux petits… et on sait pourquoi: l’offre versus la demande… C’est clair, on peut même expliquer pourquoi : la logique tordue des jauges et des cachets proportionnels… dans un pays qui n’est même pas capable d’organiser des élections proportionnelles… Comment imaginer un tout-petit de 3, 4 ou 5 ans dans une salle de 200, 300, 400 places?
Mars 2012. Création d’Une lune entre deux maisons
Depuis Alain Grégoire, il n’y a jamais eu d’autre signature que celle de Gervais à la mise en scène. C’est dire notre confiance en Marie-Eve que de lui demander de reprendre le texte que nous voulions reprendre, celui-là même qui nous a ouvert tant de portes… jusqu’à celle de la collaboration dans la création avec Marie-Eve… Le spectacle est beau, il a beaucoup et bien tourné et a valu à Marie-Eve le prix LOJIQ/RIDEAU Francophonie en février 2013… « pour la qualité, la pertinence et la justesse de son travail ». Ce prix qui lui a permis d’être accueillie en résidence d’observation à La Minoterie dirigée par Christian Duchange à l’hiver 2014. Marie-Eve poursuit sa précieuse formation sur mesure…
De la genèse du projet, Marie-Eve dit : « Gervais et toi m’avez écrit une lettre à l’hiver 2010 et m’avez offert de recréer Une lune. L’offre était belle, exceptionnelle, renversante, dans le vrai sens du terme. Je n’aurais jamais soupçonné que vous auriez une telle marque de confiance à mon égard un jour (à l’époque, je crois que je ne savais pas lire entre les lignes… je ne voyais rien aller et ne pigeais pas du tout votre envie de transmission… Eh boy!). J’ai rêvé à ce projet pendant plusieurs mois avant de passer véritablement en mode création. »
La parole artistique de Marie-Eve et son engagement concret envers la discipline démontrent une vraie parenté d’esprit avec Gervais et moi… Une succession n’est pas un copier-coller sur le plan des activités développées, mais un écho à une vision artistique. Nous partageons avec elle cette volonté d’offrir aux plus jeunes une parole artistique forte et tisser avec eux une relation artistique pleine.
De cette première expérience de collaboration artistique, nous aurons tous appris, en le vivant, le sens profond de ce que veut dire, de part et d’autre, une transmission.
Juillet. Entrée en poste de Véronique… Elle s’installe dans son bureau. Le bureau d’Odette imprégné encore de son âme, mais qu’on a soigneusement vidé de tout ce qui rappelait la grande dame, pour que la pression sur les jeunes épaules ne soit pas trop forte. C’est la plus jeune de l’équipe avec un titre lourd comme une institution. Véronique entre pendant les vacances. Elle veut lire… sur la compagnie, la dramaturgie, la pensée qui nous anime, les bilans financiers qui parlent aussi de nous, des politiques de travail, de la santé financière de la compagnie… Nous imaginions qu’elle était formidable… nous ne savions pas à quel point elle était forte, sereine, compétente. Elle n’a pas remplacé Odette, personne ne remplacera jamais Odette, elle a fait sa place au Carrousel comme dans le milieu, et a déjà donné une image remarquable de sa direction. Deux ans après son entrée en poste, elle est irremplaçable… au Carrousel… au Cube… et partout où elle passe.
En 2012, Gervais et moi, on reste très présents au Carrousel. S’il faut que Véronique fasse ses marques et pose ses repères, il faut aussi qu’elle puisse compter sur nous… ne serait-ce que pour savoir ce qu’on veut et comment on aime faire les choses. Véronique est fine et à l’écoute. Elle entend, comprend, apprend. On réalise à quel point transmettre une culture d’entreprise est vital pour le sens des choses et la continuité.