2008

Dès 2008… Marie-Eve entre pour un stage au Carrousel… il y a six ans. Elle est déterminée. Je la regarde aller, toujours discrète pourtant, et je me revois à vingt ans. Elle sait ce qu’elle veut, sait ce qu’elle cherche. Je retrouve intact ce besoin d’une formation à la pièce, à la mesure de ses envies, de ses ambitions. Il n’existe pas d’école qui aborde les problématiques du spectacle vivant pour le jeune public dans toutes ses dimensions : répertoire, diffusion, conditions de représentation, etc. Il a un savoir-faire qui commence à exister dans le secret des compagnies. C’est là que Marie-Eve sent qu’elle peut le trouver. Son instinct, son intuition ne la trompent pas. On lui installe donc un petit bureau a côté de celui d’Odette, elle est là quotidiennement, présence aussi agréable qu’attachante… Aux réunions, aux repas, malgré le Théâtre Ébouriffé qui commence. Dans cette histoire des 40 ans, elle est avec moi, dix fois, vingt fois, cent fois par jour, à déchiffrer péniblement (les chiffres et moi…  même les dates ne faisons pas bon ménage) les précieuses statistiques, qu’elle aura mis combien de temps à organiser et monter et d’où je tire les quelques certitudes qui me servent de points d’appui pour accrocher mes souvenirs.

En 2008, pour la reprise de Salvador à la Maison Théâtre, Gervais propose de présenter en marge du spectacle l’exposition Humanidad – Les enfants travailleurs du Nicaragua –, réalisée par les photographes Patrick Dionne et Miki Gingras. On adore l’engagement radical des deux photographes qui jamais ne se contentent de poser un regard sur le monde, regard trop souvent protégé par les lentilles qui interfèrent, tamisent, filtrent. Non, Miki et Patrick sont totalement et complètement présents dans les réalités qu’ils nous donnent à découvrir, et Humanidad, le titre n’est pas mensonge, est un précieux morceau d’humanité. L’exposition sera reprise en 2009-2010 à la Maison des arts de Laval et à la Maison de la culture Côte-des-Neiges. L’exposition vient longtemps, bien longtemps après nos premières rencontres avec Pat et Miki… Ce serait… peut-être à l’Écomusée du fier monde sur la rue Amherst où ils présentaient une exposition que nous nous serions connus? J’aime tellement l’idée, que je ne me donne pas la peine de vérifier. Nous avons de part et d’autre un attachement sans borne pour ce fier monde qui travaille si dur à afficher sa fierté…. Et puis quelle que soit l’année, quelle que soit l’occasion, nous partageons tant de souvenirs, du Mexique en passant par le Guatemala et la Maison de la culture Frontenac, mais surtout une amitié imputrescible et le manque de temps pour en profiter vraiment.

Humanidad

2008 sera aussi l’année des lectures du texte Le bruit des os qui craquent. La première lecture, donnée à La Licorne dans le cadre de l’événement Dramaturgies en dialogue organisé par le CEAD, nous a bouleversés au point où nous hésitons à créer le spectacle pour les jeunes auxquels je pensais en écrivant… Nous décidons d’expérimenter le texte par une série de lectures. Nous en organisons 20, la moitié en France et l’autre moitié au Québec, chez des diffuseurs complices dont l’énergie peut donner aux lectures le caractère d’expérimentation et dont le regard peut nous aider à tirer partie des observations. Nous définissons les différents types de publics : des adultes, des enfants et des publics mixtes. Ce sont les enfants qui nous donnent les arguments pour convaincre les adultes que ce texte est bien pour eux : dans la pièce, les deux enfants sont dans l’action. Ils fuient malgré les dangers et coupent ainsi la chaîne de la violence qui engendre la violence. Ils rencontrent une adulte, une seule, Angélina, l’infirmière de l’hôpital pour enfants où ils se réfugient. Elle les accueille, les soigne, les console, et les enfants retrouvent cette confiance qu’ils aiment pouvoir rencontrer chez les adultes.

Juste avant Noël, entre le 11 et 15 décembre, nous donnons la série de représentations expérimentales au Théâtre de la Ville à Longueuil avec Emilie Dionne, douloureuse Elikia à la lourde kalachnikov, Sébastien René dont personne ne peut douter de l’enfance et, Lise… Lise Roy dont le rôle semble plus humain et le témoignage, une preuve d’humanité, trouble les adultes, incapables de supporter le fardeau… Ce n’est pas précisément ce que l’on appelle un spectacle de Noël… mais le Théâtre de la Ville a tous les courages… et il reste encore dix jours pour digérer avant les orgies du temps des fêtes.