1986

André et Ville Lasalle.
André Courchesne entre en poste comme directeur général. Le Carrousel a beaucoup grossi… assez pour parler déménagement… Aujourd’hui, il faut plutôt dire relocalisation. En gardant son siège social sur la Rive-Sud, Le Carrousel n’a pas accès aux subventions du Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal. Francine Bernier du CACUM, qui deviendra notre agente après le déménagement, nous conseille non seulement le déménagement sur l’île, mais dans un arrondissement excentré… Ville Lasalle nous offrait beaucoup. Et puis, Marcelle Pallascio connaissait notre pensée artistique, notre développement. C’était une convaincue et une convaincante cette Marcelle, chef de la division de la Culture, sports, loisirs et développement social qui travaillait sous le regard non moins éclairé de Rachel Laperrière,  directrice du Service de la culture de la Ville de Lasalle.

André, nouvellement arrivé, doit gérer le projet de relocalisation de la compagnie. Il le fait avec une grande maîtrise : convaincre les employés de rester malgré deux heures à ajouter dans leur horaire, prendre la décision d’acheter une voiture pour permettre leurs déplacements, organiser le déménagement du matériel de bureau qui déjà s’accumule… et tout ce qui fait la vie du théâtre… Où avions-nous bien pu entreposer les décors et les costumes avant de déménager à Ville Lasalle?

1986… On tourne. On tourne. Une lune entre deux maisons, en anglais et en français. Les Petits Pouvoirs à fond de train au Québec. André Courchesne, cher André, croit à la diffusion… Les acteurs ont la langue à terre, mais André vient de l’école du Parminou (ils sont nombreux chez nous à venir du Parminou… terreau fertile) et l’organisation, il connaît.

Pas de création marquante ni d’exposition. Le déménagement. Financièrement, c’est un grand avantage. La ville nous héberge dans des locaux confortables, nous fournit de l’entreposage, nous donne d’excellentes conditions d’expérimentations. C’est une respiration importante… qui nous permet de mettre l’accent sur la création.

Mais… c’est loin de ma cabane dans le jardin où je m’isole pour écrire, je vais moins souvent aux bureaux du Carrousel, beaucoup moins souvent et je m’ennuie du quotidien du théâtre, de la vie qui passe dans les photocopies, les cafés, les réunions improvisées. Je suis dans la plus grande des solitudes, celle de l’écriture et, beaucoup plus souvent encore, celle de la recherche de l’écriture. Je souffre un peu de ne pas sentir battre le cœur du théâtre, mais je me rappelle (comment pourrais-je l’oublier?) le sourire radieux de celle qu’on appelait notre mère à tous, Louise, Louise Bastien, et celui de Nicole, Nicole Mongrain, qui nous a avoué, quand elle est partie travailler pour le Nouvel Ensemble Moderne avec Lorraine Vaillancourt, que défendre le jeune public est encore plus difficile, plus ingrat que de défendre la musique la plus contemporaine qui soit dans un pays entre traditions et conservatisme…

Aurions-nous encore des préjugés sur l’intelligence des enfants ou seraient-ils déconsidérés uniquement parce qu’ils n’ont pas le contrôle de l’argent? Encore un sujet de réflexion…

C’est sûrement dans cet ennui, ennui de la vie quotidienne du théâtre, que naissent les premiers contes d’enfants réels. Ennui salutaire qui m’a donné le goût et le temps d’écrire pour mes tiroirs. Et puis… et puis… il y a autour de moi tous ces enfants qui poussent… ceux des écoles, ceux de ma famille élargie, les neveux et nièces que je fréquente beaucoup et qui me racontent des anecdotes, qui me font des confidences, qui partagent des doutes, des moments de trouble agaçant, des questions sans réponses. Mes propres amis me parlent de leur enfance comme si cela allait de soi. Dans ces confidences, je trouve souvent un écho aux questionnements qui ont surgi avec Gil, l’adaptation du roman d’Howard Buten, sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas aux enfants. Je repense aux premiers contes  de L’enfant qui aimait trop la science et de son besoin démesuré de savoir, de comprendre, je pense à Titi la petite géante, la question s’est vraiment posée de savoir si on pouvait ou non dire ça aux enfants… Mais, je vais beaucoup trop vite…  J’aurai les pages pour y revenir. Je remercie la relocalisation, ce nouveau temps qui m’est tombé sur la tête, et la présence à la maison de ma Camomille et de ses deux cousines, Mimille et Titi, que je fréquente avec une joie renouvelée tous les midis. Elles mangent à la maison avec leur gardienne, ma Jocelyne, qui a fait de ces 5 années de la petite enfance des trois cousines les plus belles années de ma vie. Les voisins appelaient la maison de la rue Pine  le «jardin aux trois petites filles».