Janvier, c’est le 10e anniversaire de la compagnie… Gervais est professeur invité à l’UQAM. Il a été recruté par le Département de théâtre avec Gilles Maheu pour repenser la formation des acteurs : voix et corps. Un salaire de prof, c’est la manne tombée du ciel. Nous sommes riches. Gervais et moi, on déménage rue Pine, une maison que nous allons tant aimer pour ses boiseries de chêne, ses grandes fenêtres et sa cabane dans le jardin où je m’installe pour écrire avec mon petit poêle à bois que je vais chauffer à sept heures du matin avant d’y retourner vers huit heures prendre mon premier café et allumer mon ordinateur. Étrangement, cette maison, comme la première que nous avons habitée à Saint-Lambert, est juste à côté d’une école et, hiver comme été, j’ouvre grand mes fenêtres pour entendre les cris et les rires pendant les récréations. L’énergie de l’enfance.
Le Carrousel a une équipe, des bureaux, un camion, des salaires… Depuis quand? Tant d’anniversaires souterrains m’échappent… La compagnie a même la réputation d’offrir de bons cachets, des per diem et des conditions de travail dignes aux acteurs et aux concepteurs! Un objectif depuis toujours au Carrousel, pour le personnel administratif et artistique. Nous tournons beaucoup (une moyenne de 100 représentations par année) au Québec, à l’extérieur : France, Suisse, Belgique, Canada anglais, et il faut conserver des équipes stables et vivantes… Il y a des remplacements puisque le métier est imprévisible, mais nous limitons…
Pour souligner les dix ans, nous choisissons de monter une exposition Traces… qui raconte en espaces, en creux et en pleins, en objets et en mots, la courte histoire. Gervais en rêve et moi, j’aime les racines qui permettent de monter très haut. Un arbre a, paraît-il, la même dimension sous terre que sur terre. Nous retrouvons nos racines pour laisser des traces et poursuivre. Gervais organise l’exposition avec Michel Demers. J’écris les textes avec déjà le sentiment d’écrire quelques pages de l’histoire du théâtre québécois et du théâtre pour enfants. Je suis enceinte dans un été trop chaud et j’écris en juillet les textes entre mon lit et la toilette, victime d’une horrible crise de foie. Traces est installée à la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal au mois d’août, durant le Festival international de théâtre pour l’enfance et la jeunesse, en même temps que s’y joue La Marelle. J’aime ce qu’en dit Diane Pavlovic de la revue JEU, cahier de théâtre dans son numéro 39 :
« […] l’exposition rassemblait dessins, maquettes, pots de peinture, portes, fenêtres et accessoires, retraçant, par des costumes, des marionnettes et des éléments scénographiques tirés des huit productions de la troupe, un itinéraire amoureux voué à l’enfance et à l’exigence artistique. En fond sonore, des voix d’enfants jouant à l’extérieur; partout, des souliers usés, de pointures diverses, soulignant le passage du temps. Conçue comme un environnement théâtral (les objets par terre, au plafond, au centre, autour, encerclaient les visiteurs) et ponctuée d’immenses pages de textes échouées çà et là sur les éléments de décor, l’exposition était habitée, éloquente, émouvante. »
Diane sera présente tout au long de mon parcours et de celui du Carrousel. Pour Gervais et moi, une exposition doit permettre d’appréhender un univers affectif, intellectuel ou sensible par un autre chemin que celui de la scène… Traces parle enfance et théâtre, public et création.
Novembre, la naissance de Camille… Ma petite Camomille dont j’ai tant rêvée. Je prends deux mois de congé, un vrai luxe… Mais pour Jean-Luc Bastien… rater une réunion du Conseil québécois du théâtre est impensable (il est président du CQT et je siège au conseil d’administration)… Jean-Luc ne peut pas imaginer que le bébé aura le culot de naître le jour même, le soir même d’une de ces précieuses réunions. Jean-Luc n’a pas eu d’enfant. Ça nous fait beaucoup rire, mais ça parle aussi de l’engagement en 1985. Ce luxe, je le savoure devant le foyer où la petite regarde sans se lasser le jeu des flammes. Moi, je lis tranquillement. Je suis enfin en paix : jamais je n’aurais pardonné au théâtre de nous occuper au point de ne pas nous permettre un deuxième enfant, une famille. Camille nait en novembre, le 2. Je déteste ce mois qui annonce l’hiver. Pire, le 2, c’est la fête des morts. Pourtant, nous sommes les parents les plus heureux du monde… Et je ne connais encore rien du Mexique.