Création de La Marelle et expérimentation intéressante. Les relations des petits entre eux, les relations entre parents et enfants m’ont amenée aux relations étonnamment parallèles des plus vieux et des plus petits. J’ai passé presque une année complète entre les garderies et les maisons de retraite, entre les livres et la vie, à explorer les comportements des petits de moins de 5 ans et des vieux (pourquoi avoir peur du mot?) Est-il vraiment péjoratif, moi qui aime tant les vieux fauteuils et les vieilles armoires? Les vieux ressemblent terriblement aux petits dans leurs peurs, leurs manies, leurs obsessions, leur perfectionnisme, leur maladresse et je commence à écrire Les enfants ridés. Il s’agissait d’une garderie où ceux qui y vivaient, y jouaient, mangeaient, se disputaient étaient… des vieux, vraiment vieux, le 4e âge, il faudrait dire. Terrorisée moi-même par ce que j’écrivais, j’ai abandonné et suis revenue à la raison et au récit impressionniste d’une journée entre un petit juste un peu malade (c’est souligné dans le texte) et sa grand-mère. Pour la première fois, j’ai le sentiment très net de m’autocensurer, de reculer en me sauvant, de me cacher.
Pourquoi donc cette censure, pire, cette autocensure quand on écrit pour le jeune public? Parce qu’il est spécifique et captif? Parce que les créateurs (auteur, metteur en scène, acteurs) sont dans une relation fondamentalement inégalitaire? Parce que les intermédiaires (adultes) entre créateurs et enfants sont aussi nombreux que frileux et peut-être même par essence, censeurs? Les questions se posent toutes, mais restent diffuses, imprécises. La classe morte de Kantor me fait réfléchir… Il a eu le droit. Il a pris le droit? Personne ne s’est indigné. Au contraire, le spectacle est un succès.
La Marelle… J’arrive enfin à cette expérience intéressante autour de l’âge du personnage et du phénomène de l’identification tentée avec le spectacle. Alain Grégoire fait la mise en scène et la question de la distribution nous occupe sans nous préoccuper… Les acteurs n’ont pas l’âge des personnages. Pour nous, il n’est pas question de faire jouer un personnage d’enfant par un enfant. Le jeu est un métier. Il faut choisir un acteur qui porte en lui cette part d’enfance et Carl Béchard, sublime, a cette part d’enfance assumée. Mais la grand-mère? La grand-mère peut-elle être jouée par une jeune actrice ou doit-on absolument trouver une comédienne qui aurait l’âge du personnage? Les deux comédiennes Huguette et Céline (dans la jeune trentaine) créent en alternance la grand-mère… et les enfants médusés ne posent jamais la question de l’âge! Ils n’ont pas l’ombre d’un doute. Ils y croient. Le questionnement sur la vérité du personnage n’a pas fourni de données qualifiables ou quantifiables sur l’écoute des enfants et leur attachement au personnage. Les deux distributions touchaient aussi précisément et directement… mais nous avons eu tant de plaisir à imaginer des hypothèses… et à observer.
Deux anecdotes éclairent nos souvenirs de l’étonnante lumière qui se dégage de la scène. C’était la première fois qu’Huguette jouait pour les enfants et elle avait un trac épouvantable… Oui, Huguette Oligny avait un trac épouvantable, même si cela nous faisait sourire. La scénographie enveloppante de Dominique L’Abbé faisait entrer les enfants par le décor, porte même de la maison de la grand-mère que le petit venait de franchir. Le jour de la première, Huguette a le regard à la hauteur du petit qu’elle attendait et elle voit en relevant la tête, Gratien Gélinas, le premier à entrer, aussi ému qu’un enfant. Elle est complètement déstabilisée. Elle, qui en avait connu des premières, avoue n’avoir jamais eu un trac aussi sournois. Elle a été la grand-mère dont rêvent les enfants… malgré ou à cause du trac.
Comment appeler le deuxième souvenir qui a marqué ce spectacle? Anecdote? Sûrement pas. Événement? Pas vraiment. Fait troublant qui dit mieux que tous les discours le pouvoir du plateau.
Deux longs mois de tournée en France, avril et mai, avec déplacements, changement de saison. Les codirecteurs accompagnent chacun une partie de la tournée : je fais la dernière. L’épuisement se sent. Céline, notre Céline, joue tous les jours avec le même engagement, mais le soir, elle refuse les sorties, les jeux de société que les équipes de tournées adorent. Je la défends. Je comprends son besoin de se retrouver toute seule. Mais il y a plus… nous ne l’apprendrons qu’au retour. Durant toute la tournée, Céline Beaudoin luttait contre un horrible cancer du cerveau, gardant ses forces pour le jeu. Quand elle a pu relâcher la tension qui la gardait vivante, la tumeur a explosé et, en juin, même si on ne réussissait pas à y croire, on lui faisait des adieux au salon funéraire… en doutant encore que cette histoire soit la bonne. Nous sommes déjà peut-être en 1985 ou même 1986, mais je raconte en allers-retours en liant les faits autour du sens plus que de la chronologie.
Les tournées se succèdent :
La France… très longue tournée de trois mois d’Une lune entre deux maisons…
Le Canada anglais… Une des rares fois où le Carrousel sera invité à présenter un spectacle dans l’Ouest canadien… A Moon Between Two Houses est un spectacle consensuel qui a pu être présenté au Vancouver International Children’s Festival – nous revenons avec l’horrible impression que les adultes sont beaucoup moins civilisés que les enfants (les parents kangourous… accrochés à leurs enfants… cachent les petits spectateurs qui sont derrière eux sans la moindre gêne) – et au Edmonton International Children’s Festival… Et Les Petits Pouvoirs tourne beaucoup au Québec.
La Maison Théâtre ouvre ses portes en préfiguration à l’automne 1984. Elle regroupe 19 compagnies membres qui ont uni leurs forces pour réaliser le projet utopique d’un lieu de diffusion spécialement dédié aux jeunes publics.