Les tournées d’Une lune entre deux maisons… De septembre à septembre, beau temps mauvais temps. Gervais suit les reprises. Il est toujours là, metteur en scène déjà sans jamais penser à se donner le titre, aussi efficace que patient et têtu. Il sait ce qu’il veut et comment le demander aux acteurs. Jamais il ne permet de jouer l’enfant. Être enfant, porter l’enfance dans un spectacle dirigé par Gervais, c’est jouer les situations en retrouvant l’état d’enfance qui nous habite, même dans l’inconscient le mieux enfoui. Il faut lire et relire Pierre Péju qui parle de l’enfantin pour faire taire l’insupportable infantile réducteur, comprendre la nuance entre les deux réalités et saisir comme elle est fine la ligne de jeu de l’acteur qui s’adresse aux enfants.
De grands pics de bonheur dans cette saison.
Alain Grégoire vient de l’Organisation Ô, du théâtre Le Parminou (déjà…), des États généraux du théâtre, en crise… (le CQT s’est créé sur les cendres encore chaudes), aujourd’hui Président directeur général de la Maison Théâtre et ami précieux, pour toujours, entre au Carrousel à titre de codirecteur. Nous sommes trois et nous nous sentons plus forts. Gervais a sûrement laissé les Enfants du Paradis, mais il enseigne à l’UQAM, au MCCM… Il adore enseigner. Moi aussi. Je continue les animations à Longueuil, quelques cours à l’université, mais je me consacre de plus en plus aux animations pour les projets d’écriture dans les écoles élémentaires… À l’école des Saints-Anges, Curé-Rabeau, Félix-Leclerc et combien d’autres à Boucherville, Longueuil… Les profs! Inestimables amis observateurs et vis-à-vis précieux dans les rencontres avec les enfants. Je travaille avec des enseignants qui me font une place et une confiance exceptionnelles, je peux les appeler au pied levé… Lucie Poirier, Marie-Josée Bazinet, Jacques Sénéchal, Diane Lamothe, Marlène Côté, Florence…. Nicole…. Micheline Martin, Jacques Crépeau… et combien d’autres qui gravitent autour de ce noyau dur… porte d’entrée pour les classes, les enfants. Nous avons de longues discussions et je passe parfois plusieurs mois dans une classe à explorer une thématique. Ce que les enseignants ont le plus apprécié : pouvoir observer leurs élèves sans être dans l’action et ainsi découvrir autrement certains élèves.
Première publication à vie reçue comme un cadeau alors que cela ne me serait même pas venu à l’esprit. La collection Jeunes Publics chez Québec Amérique est dirigée par Hélène Beauchamp. Elle se veut la mémoire de la pratique jeune public. Les livres sont beaux, ils ont des photos de la production, les textes de réflexion écrits avant et après la pièce en tant que telle pour les professionnels et les enseignants… Ce sont des livres qui rendent accessibles textes, pratiques, esthétiques et réflexions. Celui d’Une lune est abondamment illustré des dessins d’enfants simplement surlignés par Yvan Adam à qui on avait demandé de les traiter et qui a désiré conserver la pureté des lignes originelles, les dessins racontant trop bien le spectacle et la perception qu’en ont eu les spectateurs.
Couverture médiatique fabuleuse. Une autre grande première. Nous jouons Une lune entre deux maisons à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier pendant les vacances de Noël et La Presse du samedi qui a un bandeau sur la UNE donne la première page complète du Cahier Arts et Spectacles. La surprise nous comble : le spectacle est pour les plus petits et il prend sa place sur la scène culturelle. Mais ce qui nous fait le plus plaisir lors du passage dans une salle que nous retrouverons année après année, c’est de voir Françoise Gratton et Gilles Pelletier, les codirecteurs artistiques de la Nouvelle Compagnie théâtrale derrière les petits et aussi attentifs qu’eux. L’histoire s’écrit.
1981. J’abandonne le jeu. Je ne le sais pas encore, mais l’abandon sera définitif. Les tournées ont tué la comédienne et les miracles à heure fixe me fatiguent. Quand je suis sur scène, devant les spectateurs, j’ai envie de couper, d’allonger, de ralentir, d’accélérer pour suivre le rythme du public… toujours la qualité de la relation me semble plus importante que les mots sur le papier… pourtant c’est vers l’écriture que je vais… Les fertiles contradictions. Je joue mes dernières représentations en juin, j’imagine… avec la saison… Je suis déjà par-dessus la tête dans un nouveau projet d’écriture : faire pour les enfants plus vieux ce que j’ai fait pour les petits : adopter leur regard sur le monde. J’ai passé une année complète en animation avec des grands du deuxième cycle de l’élémentaire dans trois écoles de milieux socioculturels différents, et je dois dégager les pistes d’un texte de la montagne de documents (cahiers de notes, réflexions, journaux de bord, dessins et textes d’enfants, enregistrements sonores, etc.) Je peine des mois jusqu’à ce que je décide de le perdre vraiment, ce temps que j’ai passé à déchirer tous les soirs les pages noircies dans la journée. J’accepte le silence, les pages blanches et le travail patient de tissage de petits morceaux de courtepointe sans idée fixe, sans ligne directrice. L’automne sans tournée me permet de terminer le texte et je réalise, en écrivant devant les feuilles des arbres déjà rouges et les premières neiges, que nous sommes sortis du cycle de création des débuts.